mercredi 25 septembre 2013

CROISMARE


Croismare

REMEMBER 1944

Le mois de septembre est souvent agréable en Lorraine, on en a fini avec les chaleurs étouffantes de l’été et les froidures de l’hiver sont encore loin. Pour la fête de Croismare, à la Saint Léger, le deuxième dimanche d’octobre, nos aînées revêtaient avec fierté leurs vestes de fourrure mais, en l’occurrence, il s’agissait bien plus pour eux de montrer leur élégance que de se protéger des rigueurs de l’hiver. En principe, les premiers gels ne montrent guère le bout de leur nez avant la Toussaint, juste à temps pour revêtir la nature mordorée d’un voile blanc et pour donner aux chrysanthèmes meurtris un air triste de circonstance.
Mais en cet automne 1944, il n’était pas question de savourer la douceur et le bonheur des choses. C’était la guerre. Les combats faisaient rage et nous étions tous réfugiés dans les caves. Les plus anciennes du village qui avaient le privilège d’être voûtées, (comme la nôtre : construite au début du 17ème siècle), accueillaient parents, amis et connaissances. Nous y étions installés sur des bancs et couchages de fortune mais on s’y sentait en sécurité. Une sécurité toute relative car nos abris  ne pouvaient nous protéger de toutes les formes d’agressions possibles et de plus, bien souvent, il n’existait qu’une seule issue interdisant par là-même une fuite éventuelle.
Cependant, s’aventurer à l’extérieur représentait un bien plus grand danger car l’artillerie allemande pilonnait le village en ciblant souvent à deux reprises le même objectif.  C’est en voulant voir les dégâts causés par un obus tombé dans le jardin de leur ferme que François Harter et notre petite amie Colette Vuillemin ont été touchés par une seconde salve mortelle. Elle n’avait que 11 ans. Les Américains ont essayé de la sauver en la conduisant à l’hôpital de Lunéville mais elle ne survivra pas et décèdera trois jours plus tard.
Il est vrai qu’au milieu de cette frénésie des hommes, les enfants étaient particulièrement vulnérables. Comme à chaque génération ils jouaient à la guerre, alors que cette fois leurs découvertes et expériences se déroulaient sur un terrain de jeu réel, à la barbe des Allemands, avec des armes qu’ils récupéraient on ne sait d’où.  Par chance, la providence veillait, car à ma connaissance aucun de ces jeunes gens n’a été atteint sérieusement. Mon frère Michel a été protégé à deux reprises : par le garde-champêtre, lors d’un bombardement et par un Américain qui l’a soustrait aux balles tirées depuis un avion allemand. 
Car en ce mois de septembre, les libérateurs, les Américains étaient dans le village. Ils avaient fait leur entrée, au petit matin de ce mois de septembre 1944, immédiatement entourés d’une foule enthousiaste. En quelques secondes, mon frère et moi avions été hissés sur cette première automitrailleuse et nous posions avec bonheur pour lapostérité. Car, pour immortaliser cet évènement majeur il y avait certes un photographe officiel mais il y avait aussi ma mère. Elle s’était acheté un petit appareil photo pour les premiers congés payés de 1936, et elle captait dans son objectif ces jeunes et beaux militaires qui avaient franchi l’Atlantique, et rencontré tant d’obstacles et de dangers pour nous sauver.  
Croismare
Les premiers soldats US du 2e de Cavalerie, le 14 septembre 1944
Ils apportaient et représentaient la liberté, cet espoir enfoui en nous Lorrains depuis tant de générations. Car cet impératif besoin, cette farouche volonté d’être des hommes libres, nous la devions aussi à nos ancêtres qui avaient combattu et choisi de dire non, au cours des siècles, aux envahisseurs de notre province si régulièrement convoitée. Les guerres précédentes si dévastatrices et cruelles étaient encore dans toutes les mémoires et  celle-ci, grâce à ces jeunes libérateurs, permettaient l’espérance d’une paix et le retour des hommes à la maison.
La déception des villageois fut grande quand ce premier convoi repartit vers sa zone arrière avec pour objectif de revenir plus tard, en plus grand effectif, en plus grande force. Mais, malheureusement, ce faisant, ils laissaient la place aux Allemands qui tenaient encore position sur la colline avoisinante et qui réinvestirent le village.
Croismare
J’ai encore en mémoire les images de leur arrivée, je vois encore avec netteté ce camion rempli de blessés et ce soldat s’efforçant d’ouvrir les volets des habitations et réclamant des chaussettes. De leur dernière position, sur la côte, au milieu des vignes, ils avaient une vue plongeante sur la place où la population était réunie pour fêter les Américains, et auraient déclarés qu’ils auraient pu anéantir toute la population…., c’était sans doute vrai.
Croismare
J’ai appris bien plus tard combien les combats dans notre belle forêt de Parroy avaient été durs et violents et combien la délivrance de notre « patria si bella e perduta » avait coûté en vies humaines, en souffrances morales et physiques. Mais la présence de ces Américains a contrario m’a tellement apporté. Je les entends encore : « Christiane school tomorrow ? » Ils m’apportaient la gaieté, la douceur et l’affection paternelles dont me privait l’absence de ce père prisonnier en Allemagne,  retenu dans un stalag sur les bords de l’Elbe, d’où il  ne reviendra pas avant le mois de juin 1945.  Je vous aime amis porteurs de ces moments de calme, ces instants de paix, ces parcelles de lumière.
Croismare
Il y a quelques années nous avons retrouvé un carnet d’adresses d’une unité américaine qui avait stationné dans notre ancienne maison. Ce document oublié nous a laissé l’espoir de pouvoir enfin exprimer notre gratitude et  remercier ces hommes venus de si loin.  Nous avons adressé de nombreuses lettres aux Etats-Unis, malheureusement sans résultat. Alors, à présent, telle une bouteille à la mer, qui vous parviendra par de-là le temps, aux frontières de l’inconnu, dans des mondes où il n’y a plus de guerre, sachez que nous vous avons recherché vous ou vos descendants pour vous dire  THANK YOU
« LOOKING INTO MY MOTHER’S DIARY AFTER HER DEATH, I’VE COME ACROSS A LIST OF AMERICAN SOLDIERS WHO PROBABLY STAYED IN OUR LITTLE VILLAGE (CROISMARE NEAR NANCY – LORRAINE, IN THE EAST OF FRANCE, NOT FAR FROM THE GERMAN BORDER). THIS WAS, OF COURSE, DURING THE SECOND WORLD WAR. IL WOULD LIKE TO GET IN TOUCH WITH YOU OR WITH YOUR DESCENDANTS – THANK YOU FOR YOUR HELP »
A vous petites âmes que nous n’avons pas pu joindre par courrier  que des mots d’affection et d’amour vous parviennent au-delà du miroir, par de-là les étoiles, dans la lumière que nous vous devons.
Nos pensées s’adressent également aux victimes civiles et militaires, aux combattants de la résistance, en particulier à notre instituteur Monsieur Gallaire, chef de réseau et bien sûr à l’ensemble  des anonymes qui ont œuvrés au péril de leur vie pour écrire ce beau mot de LIBERTE.
J’exprime également ma reconnaissance à  ces tirailleurs Sénégalais, prisonniers des Allemands et retenus si loin de leur terre natale, dans l’ancien moulin de Croismare, ces « papas noirs » dont le souvenir reste dans mon cœur.
 A VOUS TOUS MERCI …..
Lieutenant-colonel (er) Christiane Willemin
Croismare Croismare
CROISMARE 1940

Croismare

Croismare Croismare
CROISMARE 1944

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