mercredi 25 septembre 2013

Histoire et organisation socio-culturelle Guaraní



L'apparition de l'Homme en Amérique daterait pour la majorité des auteurs d'environ 30.000 ans, bien que certains l'estiment à près de 50.000 ans. Les migrants vinrent d'Asie par vagues successives par le biais du détroit de Behring, qui était à sec à l'époque (sa profondeur est de 50 mètres environ, tandis que durant cette période de glaciation le niveau de la mer avait baissé de 80 mètres).
Les vagues migratoires se dispersèrent rapidement, occupant les actuels Etats-Unis et le Canada, et continuant leur progression vers le Sud. C'étaient des hommes de culture Paléolithique Supérieur, groupés en bandes nomades de chasseurs, pêcheurs et cueilleurs. D'autres vagues migratoires survinrent durant le Néolithique, à partir de l'Alaska, et il est très probable que des populations arrivèrent de Polynésie, comme l'expédition du Kon Tiki a pu le démontrer.

La majorité des auteurs s'accordent à dire que les Guaraní-Tupí trouvent leur centre de dispersion dans le Paraguay actuel. Leurs ancêtres directs sont les Guajakí, un peuple nomade qui vivait dans les forêts du Sud-est de l'actuelle région Orientale du Paraguay. La culture Guajakí est d'origine amazonienne, plus ancienne et moins développée que celle des Guaraní. Ils vivaient nus, utilisaient l'arc et les flèches de type amazonien, cultivaient peu, connaissaient la céramique et le tissage et pratiquaient l'anthropophagie rituelle. Il est possible qu'il y ait eu des rapports avec des Arawak venus du Brésil et originaires des Antilles qui auraient enrichi la culture Guarani.

Par la suite, les Guaraní-Tupí se dispersèrent vers le Sud jusqu'au Delta del Panamá, vers l'Est jusqu'au littoral Atlantique du Brésil et vers le Nord. Ces migrations se réalisèrent entre 2.500 et 1.500 avant J.C., accompagnées de la soumission des peuples rencontrés. La migration vers le Nord se fit à l'aide du fleuve Paraguay et de ses affluents ainsi que par les rivières Araguaya et Tocantins, le Nord-est fut colonisé par le biais du Paranaiva et du San Francisco jusqu'à la côte Atlantique. La vague migratoire ayant atteint la côte du Centre Est du Brésil, elle se poursuivit le long de celle-ci jusqu'à l'Amazonie et la Guyane.

Image 1 : Attaque d'une tribu Guaraní par ses ennemis
L'occupation du Nord-ouest du Paraguay, et dans la partie supérieure de l'Alto Paraná se fit entre le VIe et le VIIe siècle, tandis que l'invasion du Brésil Oriental se fit au XIIe siècle. Les Karió (ou Karichó, Karijó) migrèrent vers l'Est, jusqu'à la côte Atlantique depuis la Cananea jusqu'à la Laguna de los Patos, remontant ensuite la côte. Ils se dispersèrent vers le Sud utilisant les Ríos Paraguay, Paraná et Uruguay, venant à peupler les îles du delta du Río de la Plata. Vers le Sud-est, les Japejú et les Tapé peuplèrent l'Uruguay, où se trouvaient déjà les Charrúa.

Les Avá et les Mby'á migrèrent vers l'Est du Paraguay et les actuels Etats du Brésil du Paraná, Sao Paulo, Mato Grosso et Goiás. La colonisation Guaraní se fit vers l'Ouest jusqu'aux contreforts andins. Dès lors, il y eut de nombreuses attaques Guaraní à l'encontre de l'empire Inca, dans le but d'obtenir de l'or, de l'argent et autres métaux.

L'expansion de l'ethnie et de la langue Guaraní fut donc très ample, s'étendant au Brésil, au Paraguay, à la Bolivie, au Pérou, à la Guyane française. On a réussi à identifier sur des bases anthropologiques et culturelles 71 tribus différentes dans la grande famille Tupí-Guaraní.


C'est en 1524 qu'arriva au Paraguay la première expédition de conquistadores espagnols, venant du fort Santa Maria del Buen Aire, la future Buenos Aires. Cette expédition s'établit sur les terres situées entre les fleuves Manduvirá et Tebicuary, et plus spécifiquement dans la zone actuelle d'Asunción. Ces terres étaient habitées par des indigènes de filiation Guarani appelés Carios, qui vivaient sous la menace constante des indigènes Guaicuru et Payagua. Les espagnols décidèrent de s'installer à Asunción, petit village de cultivateurs et guerriers, y voyant une étape très intéressante pour le ravitaillement en nourriture dans la quête de l'expédition : trouver le fameux El Dorado, la terre de l'or selon la tradition Inca du Pérou.

Dans ces circonstances, se créa rapidement un pacte d'interêts entre les espagnols et les indigènes : Grâce à leurs alliés Carios, les espagnols s'assuraient le ravitaillement alimentaire et en jeunes guerriers pour leurs expéditions ; les Carios parvenaient avec l'aide des Espagnols à se protéger des attaques de leurs ennemis et avaient accès aux nouveaux objets apportés par les conquistadores : haches, métaux…

Image 2 : Gravure représentant des indigènes Carios

Les premiers contacts établis furent donc cordiaux, comme en témoignent les offres par les Carios de leurs femmes, signal chez cette ethnie d'une volonté de mise en parenté.

Mais bien vite cette entente cordiale prit fin. Face à la détérioration du comportement initial des espagnols, mauvais traitements, violence, survint le premier soulèvement indigène contre les espagnols d'Asunción en 1539. Irala, gouverneur du Paraguay et du Rio de la Plata à cette époque, prépara une embuscade et fit tuer les chefs du soulèvement. A partir de ce moment les relations hispano-Guarani changèrent radicalement. Les grandes révoltes contre les espagnols se multiplièrent, se soldant toutes par un échec. Ainsi entre 1539 et 1616, les documents historiques enregistrent pas moins de vingt-cinq soulèvements contre la colonisation espagnole.

Une troisième phase de contacts fut initiée avec la reconduction d'Irala au poste de gouverneur. Elle se caractérisa principalement par les rancheadas, c'est-à-dire le droit accordé aux conquistadores de déporter les populations Guaraní vers des établissements espagnols où le sort qui leur était accordé était d'une rare cruauté et inhumanité. Ces rancheadas durèrent près de cinq ans et firent chuter de manière vertigineuse la population purement Guaraní, déjà largement affaiblie par les maladies apportées par les conquistadores (Grippe, syphilis…). En effet la majeure partie des enfants nés à partir de cette époque étaient des métis qui se mirent par la suite au service des espagnols.

Image 3 : Attaque des Guaraní du Lambaré par les espagnols

Ainsi rapidement la démographie, le système social et économique des populations indigènes furent gravement affaiblis, diminuant par là-même les capacités de résistance des Guaraní à l'invasion espagnole.

En 1555 commença à s'installer le système des encomiendas. L'encomienda était un système par lequel en échange d'un paiement, le conquistador pouvait disposer d'un certain nombre de familles avec leurs caciques à son service. Ces méthodes étaient utilisées par les espagnols pour organiser les Guaraní de la manière la plus efficace possible.

Guaraní et Jésuites : Les Réductions                    
Les Missions ou Réductions Jésuites des Guaraní du Paraguay constituent un phénomène historique singulier, fascinant et plein de polémique. Cette expérience missionnaire, développée en marge de la conquête et de la colonisation du Río de la Plata, a suscité au travers des siècles des descriptions et interprétations des plus diverses.


Image 4 : Représentation, sans doute idéalisée, de la Réduction de Candelaría


Dans le processus colonial du Paraguay, la fondation de Réductions d'indigènes Guaraní répondit principalement à la nécessité de pacification à un moment où échouaient les tentatives de conquête par les armes. Les guerres, les mauvais traitements et les maladies provoquaient d'autre part une alarmante baisse démographique, que les encomenderos furent les premiers à percevoir en voyant disparaître la main d'œuvre disponible. La Réduction, proposée par les Lois des Indes, et qui se pratiquait déjà au Pérou, semblait être une excellente alternative et de surcroît une méthode missionnaire très efficace.

Les frères franciscains, afin de mieux endoctriner et de " policer " les indigènes et secondant en même temps la politique des gouverneurs du Paraguay, commencèrent à établir des Réductions, dont la première fut celle de Altos fondée en 1580. L'activité réductionnaire continua avec ferveur jusqu'en 1615, quand se réunirent de nombreux indigènes de la région du Paraná à Itatí. Après cette période les fondations franciscaines se firent beaucoup plus rares et sporadiques.
Avec une certaine continuité avec les franciscains et dans le même contexte d'exploitation encomendera des indigènes, qui préoccupait tant le gouverneur Hernandarias, les Jésuites adoptèrent la Réduction comme mode privilegié de mission.
La première de ces Réductions fut celle de San Ignacio, créée en 1609. Après cette date, surgirent en diverses régions avec un rythme très inégal, d'autres missions : cinq près du Río Paraná ; sept dans la vallée de l'Uruguay ; treize dans la région du Tape ; treize autres dans l'ancien Guairá ; cinq dans l'Itatín. En un quart de siècle, entre 1609 et 1634, pas moins de 43 Réductions furent établies. Nombre d'entre elles, cependant, ne purent perdurer, du fait des attaques des bandeirantes et d'autres difficultés. Ainsi après de nombreuses années, il y avait trente Réductions Jésuites, résultats de la relocalisation des missions qui avaient subsisté et de la formation, par démembrement, de nouvelles.
Les Jésuites se posèrent de manière claire et intransigeante vis-à-vis des encomenderos, désirant pour les Guaraní un espace de liberté, qui pouvait devenir possible seulement grâce à une forte autonomie économique. De cette manière les lois de protection des indigènes pouvaient être appliquées de manière plus stricte, en se prévalant des ingérences externes. Pendant cette période initiale, les Jésuites agissaient conformément aux plans tracés par le Père Diego de Torres Bollo, exprimés dans deux Instrucciones, de 1609 et 1610. Il y donne des normes et orientations sur la manière d'évangéliser, la disposition urbaine des villages, l'importance de disposer de ressources économiques stables, le tout imprégné d'un grande volonté de justice et de défense des indigènes.
La fondation d'une Réduction se faisait dans un contexte spécial puisque dans des zones qui n'étaient pas encore atteintes par les Espagnols. Ainsi les réactions des Guaraní étaient très variées et curieuses, spécialement celles des chamanes et des caciques.


Les Guaraní des Réductions récemment fondées dans le Guairá, du Tape et de l'Itatín, qui grâce à la protection des Jésuites se voyaient libres du système espagnol des encomiendas, se virent néanmoins la cible d'un autre type d'oppression beaucoup plus dure. Les bandeiras des hommes de Sao Paulo appelés mamelucos étaient des razzias ou expéditions de chasse à l'indigène, avec comme finalité de prendre le pouvoir de cette main d'œuvre potentielle. Motivés par la demande en main d'œuvre des ingénieurs pour la canne à sucre et d'autres travaux, les bandeirantes trouvaient dans cette activité de capture et de commerce d'aborigènes une alternative économique plus lucrative que celle de se dédier à l'agriculture ou à la recherche de métaux et de pierres précieuses.

Image 5 : Représentation artistique de Bandeirantes


Si dans un premier temps la chasse d'indigènes se concentrait seulement sur les Guaraní qui vivaient toujours dans la forêt, les bandeirantes découvrirent vite qu'il était bien plus intéressant d'attaquer des villages déjà formés, ou les Guaraní étaient réduits en grande quantité et étaient déjà initiés aux formes de vie et de travail " civilisées ".

Entre 1628 et 1631, les bandeirantes paulistes détruisirent complètement les Réductions du Guairá, emportant les uns, tuant et dispersant les autres. C'est ainsi que 12.000 Guaraní déjà réduits, conduits par le Père Monta, commencèrent un héroïque et tragique exode qui conduisit les survivants de ce terrible voyage le long du fleuve Paraná à établir les villages de Loreto et Ignacio Miní. Les Réductions du Tape et de l'Itatín subirent des attaques aussi destructrices. Ceci obligea les Jésuites à solliciter auprès du roi l'autorisation de l'usage d'armes à feu par les indigènes pour leur défense. Armés, les Guaraní battirent les bandeirantes à la bataille de Mbororé, en 1641. Après cette date les Réductions jouirent d'une certaine tranquillité, bien qu'il y eut encore des attaques dans l'Itatín qui dut être évacué. La constitution de cette espèce d'armée indigène eut un curieux effet : les Guaraní des Missions jouèrent un rôle décisif dans la défense des frontières espagnoles et dans le contrôle de certains mouvements subversifs de colons créoles.


Devant le haut degré d'uniformité et de régularité que présentent les plans urbains des réductions, les auteurs se sont beaucoup interrogé sur leur origine et leur finalité. De nombreuses influences viennent sûrement des espagnols, avec le plan typique en damier, avec sa place centrale, mais le plus probable est que les Jésuites ont profité des propositions espagnoles, complétées par des influences baroques et indigènes. Le résultat fut une organisation de l'espace qui était en même temps appropriée à la mise en ordre de tous les aspects de la vie quotidienne, une vie qui se développait comme théâtre religieux. Les Guaraní, d'après de nombreux témoignages, n'adoptèrent pas seulement cette structure, mais l'assumèrent comme la leur ; ces Réductions étaient leurs Réductions.


La capacité de créer une économie autosuffisante, assurée par de bons rendements productifs et en même temps par l'indépendance et l'autonomie face aux colons espagnols, fut la principale caractéristique du système organisé dans les Réductions. Bien que ce système ne fut pas d'une nouveauté absolue face au système colonial, dans lequel elle s'inscrivait, il faut reconnaître que cette expérience constituait une alternative féconde.

La réussite de l'économie missionnaire suscita dès ses débuts le rejet et les accusations, puisqu'elle était la démonstration que les Guaraní pouvaient produire, avoir l'usufruit de leurs biens et progresser sans avoir besoin de se soumettre à l'encomienda. Ainsi, toute l'économie du Paraguay colonial était en jeu. Les préjugés discriminatoires propres au colonisateur et son imagination incontrôlée, ainsi que son incapacité à comprendre et accepter qu'une société indigène puisse incorporer le développement technologique et augmenter sa production, firent que la richesse des Missions était attribuée par beaucoup à l'existence et l'exploitation de mines clandestines d'or et d'argent.

Le succès relatif de l'économie réductionnaire - qu'il ne faut toute fois pas exagérer - provenait de différents facteurs. L'un d'entre eux fut le bon usage d'une technologie adaptée à l'agriculture, qui permit d'augmenter les rendements des produits traditionnels, comme le maïs, le manioc, le pois et la pomme de terre. à cela vint s'ajouter les cultures de coton et de tabac qui dans une moindre mesure donnèrent lieu à une industrie simple et modérée, avec des excédents pour le commerce extérieur. Les plus grandes exportations provenaient du commerce de la yerba mate, qu'ils se mirent à cultiver dans des plantations abondantes qui jouxtaient les Réductions. La yerba mate commença à être connue sous le nom de thé des Jésuites, et sa consommation se diffusa largement dans de grandes régions d'Amérique du Sud.

Mais le succès des Réductions Guaraní ne se réduit pas à la production et à ses moyens, mais s'étend aux formes de coopération dans le travail, les relations de propriété, ainsi qu'aux modèles de distribution et de consommation.

De nombreux auteurs virent dans les Réductions Jésuites une expérience de socialisme ou de communisme avant l'heure, par ses caractéristiques communautaires de la production, par la solidarité entre les groupes et les personnes et par sa redistribution égalitaire. Mais, loin de cette interprétation eurocentrique teintée de romantisme, les Jésuites ne firent probablement que promouvoir pragmatiquement le secteur collectif de production et de distribution, qui équivalent aux principes Guaraní de coopération - potir? - et de réciprocité - jopói.

L'originalité du système économique réductionnaire réside peut-être dans une structure fondamentalement indigène qui, orientée par les Jésuites, incorpora de nouvelles techniques et technologies et s'ouvra à un discret commerce externe, qui était en mesure de contrôler suffisamment la demande en produits étrangers à la communauté.

Il est possible que les Jésuites eurent une autre perception de l'économie dans les Réductions, interprétant la communauté de biens comme pratique d'un christianisme primitif, appropriée par les indigènes, mais ne pouvant s'étendre à toutes les personnes. Les Réductions ne pouvaient donc être un modèle économique universel.


La Réduction en tant que forme de vie politique et humaine ne pouvait perdurer bien longtemps sans constituer un fait social et culturel qui la différenciait des villes espagnoles ou des autres villages indigènes du Paraguay.
La création d'un nouveau langage dans les Réductions allait produire des changements importants dans le système de communication, le maniement des symboles et les expressions artistiques. Des substitutions dans le système culturel Guaraní, des conversions de certains de ses aspects fondamentaux, furent promus par les Jésuites et ce généralement avec douceur bien que toujours avec une constance décidée. Il parait que les Guarani assumèrent  les nouvelles propositions, bien qu'il soit difficile d'évaluer le degré de profondeur et de stabilité de ces changements.

La langue Guaraní
Un trait important des réductions Guaraní est que la langue traditionnelle ne fut pas substituée ni marginalisée, mais bien au contraire assumée et exaltée par les Jésuites, qui firent d'elle leur langage. Cette langue Guaraní souffrit cependant d'un profond processus de " réduction " : réduction à l'écriture, à la grammaire, au dictionnaire, et aux formes de discours. Bien que l'écriture et la grammaire renforcèrent la langue, il y eut de grandes pertes culturelles au niveau de la sémantique et du discours. Ainsi se perdirent les contes mythiques, la poésie religieuse, la pertinence de la harangue publique qui était une pièce maîtresse dans les assemblées tribales.
Surgit donc ainsi une langue missionnaire et jésuite, indigène et chrétienne à la fois, qui tendit vite à s'étendre et même à produire sa propre littérature. Tout ceci se fit sans que se perdent totalement les formes de dialectes propres aux divers groupes Guaraní d'origine.
Education
Les enfants des Réductions étaient éduqués en partie dans leurs maisons - dans ce sens, se suivait une pratique commune à la majorité des sociétés - mais ils recevaient aussi un enseignement formel dans les écoles, qui consistait principalement à apprendre à lire, écrire et à compter.
L'alphabétisation se faisait en Guaraní, même s'ils s'exerçaient à lire en Guaraní, en castillan, et jusqu'en latin. l'école préparait avant tout ceux qui étaient destinés à des fonctions spéciales au sein de la communauté, depuis les maires jusqu'aux secrétaires, musiciens, religieux et médecins. Les enfants étaient préparés avant tout à vivre en communauté dans le sens traditionnel, sacré et fermé.
L'éducation dans les Réductions fut au final une tentative de socialisation de la jeunesse pour le travail et la participation aux pratiques religieuses, qui se remplissaient à des heures bien réglementées.
Arts plastiques
Les nombreuses œuvres d'art qui survivèrent à la fin des missions Jésuites sont un témoignage qui suscite l'admiration et le doute.
De grandes quantités d'images religieuses furent produites dans les ateliers des Réductions. Les artistes des Réductions furent des maîtres en sculpture, mais aussi dans la peinture et la gravure. Leur forme d'art était un mélange d'influences amenées par les Jésuites, vite supplantées par leur propre imagination, à mesure que les communautés devenaient de plus en plus stables.
Les pièces dispersées à la suite de la disparition des Réductions sont à l'origine d'une contamination des modèles européens par l'esthétique guaraní, pour former un nouveau langage visuel : le baroque guaraní.
Musique et théâtre
La musique était très présente dans la vie quotidienne des Guaraní réduits, comme en témoignent les nombreux écrits sur le grand nombre de musiciens, leur attrait pour le chant et la danse. Chaque célébration religieuse était un prétexte pour jouer de la musique. Il semble même que leurs travaux journaliers étaient rythmés par des airs de musique.
Les Guaraní furent par ailleurs d'excellents fabricants d'instruments pour l'exécution de la musique baroque pour laquelle ils s'étaient passionnés. Parallèlement à la musique, le théâtre prit aussi une énorme importance. C'était un théâtre au caractère didactique et moralisant, se rapprochant des formes de théâtre rencontrées dans les collèges Jésuites d'Europe.
De ces formes d'arts restent aujourd hui peu de choses, bien qu'elles aient fortement influencé les expressions musicales de l'intense religiosité populaire paraguayenne.
Sciences
Les Jésuites des réductions se dédièrent principalement à l'observation de la nature, et plus spécifiquement à l'étude des phénomènes particuliers au Paraguay, dans sa réalité astronomique, géographique, botanique et zoologique. Ces études servaient surtout pour leur application pratique aux nécessités de la vie quotidienne dans ces Réductions. Ainsi l'agriculture et la médecine bénéficièrent directement des expériences conduites et de leur systématisation.
La science réductionnaire atteint un développement notable dans les domaines de la confection de cartes géographiques des nouvelles terres rencontrées, avec leurs caractéristiques climatiques et écologiques, mais aussi par exemple dans la médecine avec l'utilisation à bon escient des vertus curatives des plantes par des pharmaciens et des botanistes ainsi que par la pratique de la chirurgie par des infirmiers et des médecins.
Aspects religieux
L'intention explicite des missionnaires Jésuites en fondant les réductions était l'évangélisation des Guaraní et leur salvation par leur conversion, l'acceptation de la foi et la pratique de la vie chrétienne.
Concrètement cela se réalisait par la réception des sacrements, les célébrations liturgiques et l'adoption des coutumes et du mode de vie chrétiens. La solennité et la grandeur avec lesquelles se déroulaient les célébrations des différents mystères de la foi catholique devinrent proverbiaux au Paraguay. C'était par exemple le cas de la semaine sainte et de la procession du calvaire de Jésus.
Cette piété et ces actes de religion dominaient aussi la vie de chaque jour et plus spécialement les dimanches, qui avaient un air de grande fête qui seraient aujourd hui considérés comme exagérés.


Les Réductions Jésuites sont souvent considérées comme un Etat dans l'état. Ainsi les Jésuites eux-mêmes les qualifiaient de " République ". Mais l'on oublie que ces Missions se régissaient totalement selon les Lois des Indes, dont l'application était plus fidèle et exacte que dans quelconque autre partie d'Amérique Latine. Ainsi, la singularité des Réductions Jésuites ne provient pas de s'être séparée du modèle prescrit par les institutions de l'Etat espagnol, mais de l'avoir respecté et rempli avec scrupule. Les Jésuites faisaient appel aux Lois des Indes pour argumenter leurs contre-attaques envers leurs détracteurs. Ils firent même appel au roi d'Espagne quand les critiques devinrent plus véhémentes.

L'adéquation du régime des Missions à la législation de la couronne d'Espagne est un facteur essentiel pour son analyse et sa compréhension. Les réductions accusèrent néanmoins rapidement les ingérences de la colonie espagnole, de laquelle ils ne pouvaient par ailleurs pas complètement se séparer. Les crises et conflits qui animaient la société du Paraguay et du Rio de la Plata se répercutaient presque immédiatement aux Réductions et brisèrent à plusieurs reprises leur tranquillité de manière dramatique.

Les Réductions représentaient d'autre part un contingent humain et une puissance économique si considérables que le gouvernement civil de la région était obligé de tenir compte de celles-ci, puisque dans une certaine mesure il dépendait d'elles.
Une autre caractéristique de ces Réductions est qu'elles étaient face à trois types de frontières qui exerçaient sur elles de fortes pressions ; ces frontières délimitaient les domaines de la couronne portugaise, espagnole et des peuples indigènes qui n'avaient toujours pas été conquis par les espagnols.

Les Réductions constituaient une vraie frontière socio-culturelle, économique et politique qui les maintenait séparées du colonialisme créole du Paraguay et du Río de la Plata. Cette frontière était en relation directe avec sa forte population, sa continuité territoriale, sa grande abondance de ressources et la force de son armée au service de la couronne d'Espagne.


Le traité des limites de 1750 entre l'Espagne et le Portugal eut des effets extrêmement critiques pour les peuples Guaraní de la marge orientale du Río Uruguay. En effet, à cause des circonstances politiques créées par ce traité, sept Réductions furent obligées de se transmigrer de l'autre côté du fleuve. Ceci provoqua des préjudices économiques incalculables pour ces communautés, des perturbations de la vie sociale, une perte de confiance dans les autorités, une perte de crédibilité des missionnaires Jésuites, et au final, la guerre et la destruction.

Les événements relatifs à ce traité peuvent être classés en trois périodes : premièrement, la surprise et l'inquiétude des Jésuites et des Guaraní, les rumeurs et les malchanceuses tentatives de transmigration (1750-1753) ; la seconde période est celle de l'insurrection indigène, les expéditions des armées espagnoles et portugaises, la " guerre Guaraní ", la déroute des indigènes et l'occupation des communautés (1753-1756) ; et pour finir les années suivantes furent marquées par la propagande jésuite, la démoralisation des Guaraní et l'annulation pure et simple du fatidique traité qui avait causé tant de malheurs (1756-1761).


Peu d'années après les terribles événements consécutifs au traité de Madrid, quand les peuples Guaraní se remettaient à peine de leurs épreuves, un nouveau coup leur fut porté par l'Europe. Ce fut la Pragmática sanción de Carlos III, décrétant l'expulsion des Jésuites de tous les territoires de la couronne d'Espagne. Ainsi furent expulsés les missionnaires Jésuites de toutes les Réductions, ce qui fut sans aucun doute un moment-clé de la colonisation, qui allait provoquer des changements considérables dans la vie coloniale aux niveaux culturels et géopolitiques de la région.
Le régime des Missions changea radicalement après le départ des Jésuites, comme l'espérait la couronne d'Espagne. Un processus de dissolution et de désintégration s'initia, qui avec les années finit par ruiner totalement les Missions, non seulement sur les plans économique et social, mais aussi au niveau des constructions matérielles (maisons, temples…). l'incompétence des suppléants des Jésuites, la démoralisation et la tristesse des Guaraní eurent raison des Réductions, et elles s'éteignirent physiquement. Les Guaraní survivants se dispersèrent, une partie s'incorporant à la population rurale des régions occupées par les Missions.
De nombreuses questions persistent sur cette période floue allant de 1768 à 1850. Quel fut le comportement des nouveaux administrateurs civils et religieux ? Quel fut le destin des Guaraní, qui ne revinrent probablement pas dans leur grande majorité à la forêt, mais qui se dispersèrent plutôt dans les campagnes et les villes de la région ?


La production de la yerba maté fut la raison principale de l'installation des colons dans la région orientale du Paraguay et ce fut elle qui structura les premières relations guaraní-métis. La première incursion de l'économie commerciale dans les forêts vint avec l'arrivée des espagnols, portugais et des Jésuites. Les portugais capturaient simplement les groupes indigènes, les enchaînaient et les faisaient marcher vers l'est en tant qu'esclaves. Les espagnols et les Jésuites, quant à eux, tentaient d'organiser un système permanent de production de la yerba maté et firent travailler la population indigène résidente comme travailleurs non salariés. Les Jésuites construisirent les Réductions et les espagnols établirent les encomiendas.

Les yerbales naturels paraissaient interminables dans la région, et les colons décidèrent de s'installer. La région était à une distance considérable d'Asunción où se faisait le commerce, mais les systèmes fluviaux rendaient relativement faciles la navigation, tandis que la grande population guaraní assurait la main d'œuvre nécessaire au fonctionnement de l'industrie. En 1556, les colonisateurs enregistrèrent dans la région pas moins de 40.000 familles Guaraní dans 60 encomiendas, qui consistaient en des travaux forcés non payés, par lesquels on attendait que la famille indigène donne un tiers ou un quart de son travail aux nouveaux habitants. Ces communautés étaient enregistrées comme villages indiens sous contrôle espagnol. Les encomendados Guaraní récoltaient la yerba pour les nouvelles colonies et la récolte était envoyée par bateau jusqu'aux marchés d'Asunción.
Les 200.000 personnes sous ce régime n'étaient toutefois pas réellement toutes tant inféodées aux espagnols. La majorité des groupes vivaient à de grandes distances des espagnols et ceux-ci ne firent pas d'efforts pour les contrôler toutes. Les systèmes de contrôle des espagnols étaient très pauvrement développés et ils manquaient de l'équipement nécessaire pour se protéger contre les attaques des groupes natifs. Le métissage et l'économie commerciale de la production de yerba se développèrent rapidement et s'étendirent à toute la région orientale du Paraguay.

Les Jésuites, à la création des Réductions, se mirent à développer la production de yerba comme une des bases économiques de leurs missions. Cette production se caractérisait par de grandes plantations qui étaient très différentes de la collecte extensive de la yerba sylvestre. Ainsi peu à peu se développèrent de véritables fermes de yerbales surveillées avec attention, qui constituèrent vite le quart de la production nationale. Durant cette turbulente période d'exploration et d'établissement des colons, de nombreux indigènes restèrent isolés et antipathiques à la société métisse de la région. Les relations restaient violentes et devenaient plus tendues à mesure que les deux groupes souffraient des agressions de l'autre.

En résumé la société coloniale de la région, tant civile que religieuse, s'organisa autour de la production de la yerba. Les métis entrèrent dans les forêts et organisèrent la production de biens et de systèmes commerciaux, sans toutefois contrôler effectivement la terre et ses ressources durant cette période. Le système de production était basé sur la capacité des colonisateurs de se procurer les travailleurs nécessaires pour exploiter les ressources disponibles dans la forêt, sans grand succès. Pendant ce temps, la population native était largement décimée par les maladies et la violence directe, commerçant par moments avec les colons, les évitant ou les haïssant.


Les années suivant l'indépendance du Paraguay en 1811 furent celles de l'intensification de la production de la yerba. La population rurale augmenta et les yerbales passèrent sous le contrôle de l'Etat et d'intérêts privés. Les réseaux commerciaux de production s'intégrèrent et s'étendirent aux régions les plus isolées du pays. Après deux siècles de production dispersée, l'industrie devint plus coordonnée sous le contrôle des commerçants d'Asunción et des grands propriétaires terriens. La yerba et le bois se mirent à être récoltés par des travailleurs endettés auprès de grands patrons. C'est ainsi que les 150 années suivantes, la société métisse se stratifia sous le contrôle autoritaire de l'élite des industries extractives.

Ces changements affectèrent de plus en plus les indigènes. Le travail forcé devint illégal, mais cette reforme ne fut pas effective. Les groupes aborigènes furent affectés par la croissance et l'intensification de l'industrie de la yerba, nombreux d'entre eux travaillant pour de petits commerçants, produisant la yerba en échange d'un salaire. Ils en retiraient un certain niveau d'autonomie vis-à-vis de la société et de l'économie métisse. Tandis que les industries extractives se développaient, les communautés guaraní ne se disloquaient pas. Les indigènes maintenaient leur accès aux forêts et leurs propres systèmes de production de subsistance.
Tout au long du XIX siècle, l'Etat paraguayen fut affaibli par des conflits politiques et des problèmes économiques. Ainsi, sous le règne du dictateur José Gaspar Rodríguez de Francia " El Supremo ", le pays développa par les machinations dictatoriales son autosuffisance économique comme moyen de fortifier son indépendance politique face à l'Argentine en plein développement. Francia exerça un contrôle drastique du commerce de la yerba, réduisant les ventes à cinq pourcents de sa production antérieure.
La mort de Francia en 1840 amena Carlos Antonio López au pouvoir, décidé à développer une économie mercantile à partir des ressources du jeune pays. l'économie d'exportation reprit vite du poil de la bête. La yerba sylvestre, inexploitée sous Francia, fut de nouveau commercialisée.

Après s'être récupérée entre les années 1840 et 1850, l'économie commerciale du Paraguay fut détruite par la terrible guerre de la Triple Alliance contre l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay.
Bien que le conflit militaire n'eut pas beaucoup d'effet sur les populations Guaraní des forêts, les politiques économiques de reconstruction de l'Etat créèrent un système de production intégré qui dirigea l'économie pour le siècle suivant. En 1883, le gouvernement commença à vendre les richesses de l'Etat accumulées sous Francia et López. Bien plus qu'une manière de payer les dettes de guerre, c'était un moyen d'attirer les grands producteurs et d'augmenter les impôts commerciaux perçus par l'Etat. 13.095.000 acres de terres du Chaco furent vendues principalement à l'espagnol Carlos Casado de Alisal. Dans la région orientale, les terrains mis en vente étaient plus petits.

Le gouvernement réussit à attirer les capitalistes aventuriers et établit un schéma de production capitaliste intégré et extensif contrôlé par l'élite nationale et internationale. Entre 1886 et 1890, les meilleurs yerbales furent achetés par des paraguayens et de riches étrangers intéressés par la production à grande échelle. Les petits et moyens producteurs qui contrôlaient jusque là la production, manquaient de capital et furent réduits à travailler comme main d'œuvre pour les latifundistes de la yerba. Ainsi le seul produit important du pays devint, après des années de contrôle de l'Etat, propriété de l'élite locale et étrangère. Une des premières corporations contrôlant la yerba fut la " Industrial Paraguaya S.A. ", formée en 1883 par l'élite citadine d'Asunción. Parmi les investisseurs, on distinguait le Président du Paraguay, des ministres et l'homme le plus riche du pays, Luiz Patri. En 1890, elle avait acquis plus d'un million d'hectares des meilleurs yerbales du pays.

La compagnie organisa rapidement un système pour exercer le contrôle sur l'économie régionale. C'était un système d'échange commercial qui permettait à la société de contrôler non seulement la production mais aussi la commercialisation et les systèmes de contrôle. La structure de l'" Industrial " était fondamentalement hiérarchique, maintenue par la coercition économique et la violence directe. La corporation employait des administrateurs dans les principales régions productrices pour organiser la production et le transport. On y établissait les dépôts de la compagnie ou se vendaient les produits et était stockée la yerba. Chaque administrateur avait à sa disposition des personnes chargées de maintenir au travail ceux qui récoltaient la feuille. Les relations entre les participants du système se basaient sur le crédit. Avant de commencer à travailler, on donnait aux travailleurs une avance pour acheter des biens pour eux et leur famille. Les aliments et articles de première nécessité qu'ils consommaient dans la forêt étaient retirés de leur salaire. Il n'était pas permis aux travailleurs de quitter la compagnie avant d'avoir réglé leurs dettes, ce qui n'arrivait que rarement avant leur mort. L'Etat n'ayant à l'époque presque aucun pouvoir, le contrôle social et le maintien de l'ordre était exercé par la police de la compagnie, les capataces.

Chaque infraction au règlement de la corporation était punie avec une extrême sévérité. La société fut un succès et sa valeur quadrupla la première année. Ses ressources financières et terrains étaient si importants qu'elle se diversifia dans l'élevage et la banque.

Il était interdit aux hommes de sortir pendant des mois, et on leur permettait de très rares visites à leurs familles, au cours desquelles ils avaient à présenter bien peu pour témoigner de leurs efforts. Les travailleurs qui tentaient de s'échapper s'exposaient à la brutale répression de la police de la compagnie. Ceux qui s'endettaient très rapidement (ou qui gagnaient beaucoup) étaient assassinés par des criminels sous contrat avec la corporation.

Les Avá-Guaraní avaient quant à eux des relations relativement limitées avec l'Industrial Paraguaya. Les patrons préféraient embaucher des métis, qui constituaient la grande majorité des travailleurs. Les indigènes étaient en effet considérés comme travailleurs peu fiables, qui s'enfuyaient sans payer leurs dettes. De fait, il y avait quelque chose de vrai dans cette accusation. à la différence des métis, les Avá-Guaraní maintenaient leurs familles et leurs plantations dans la région. Comme ils avaient accès à la production de subsistance, il était bien difficile de créer une relation de dette-esclavage avec eux. Avec peu de nécessités et une dette réduite, les Avá-Guaraní étaient plus libres de quitter les yerbales et de retourner dans leurs groupes de parenté.

Ainsi, les Avá-Guaraní travaillaient dans leurs potagers, chassaient et pêchaient, travaillaient pour d'autres de manière intermittente et pour de courtes périodes dans des yerbales n'appartenant pas à La Industrial et ce en échange de sel et des outils qui leur manquaient. Bien que ces petits patrons exploitaient les indigènes, le système était loin de la dette-esclavage. Les liens de parenté entre le Guaraní et le patron métis établissaient une certaine confiance entre les deux. Le crédit était strictement limité. Les familles vivaient à côté des lieux de travail et leurs potagers complémentaient les marchandises que les travailleurs achetaient aux patrons. L'importance de l'économie extractive pour les Avá-Guaraní et leur relation flexible avec celle-ci sont mises en évidence par leur réponse à la guerre civile. En 1945, alors que la violence de la guerre civile ne les atteignait pas (les indigènes étaient généralement désignés comme non-politiques), ils furent très affectés par la fuite commerciale vers le Brésil. Entre 1945 et 1948, beaucoup choisirent de partir au Brésil, où les industries forestières extractives continuaient d'être un élément important de l'économie. Bien que la consolidification et l'intensification de l'industrie de la yerba n'assommèrent pas les Avá-Guaraní, les effets secondaires du développement économique les affectèrent de différentes manières. Par exemple, les villages métis au fort développement créèrent de nouvelles pressions le long des voies navigables. Comme les yerbales fleurissaient dans les bois les plus bas, les colonisateurs cherchaient les aires les plus fertiles pour l'agriculture. Cela les mit naturellement en conflit avec la population indigène. De nombreuses communautés indigènes s'enfoncèrent plus loin dans la forêt pour s'éloigner de ces aires nouvellement colonisées.



L'économie commerciale de la région qui se récupéra après la guerre civile était beaucoup plus diversifiée que l'économie antérieure ; une varieté de patrons et de produits remplaçaient le pouvoir économique de l'Industrial Paraguaya et sa centralisation de la production de la yerba. La majeure partie de la structure basique de la société rurale perdura ainsi durant les décennies de 1950 et 1960. Les industries forestières continuèrent à être importantes et fournissaient le pouvoir à une élite sur la masse des travailleurs ruraux. Mais durant la décennie 1970 l'économie extractive fut peu à peu remplacée par l'agriculture intensive dans une grande partie du Paraguay oriental.

La chute du Parti Libéral brisa le système intégré que l'Industrial avait organisé, et de nouvelles élites politiques commencèrent à acquérir et exploiter les vastes ressources forestières. Si bien que même si l'Industrial perdit de son pouvoir, il n'en résulta pas une révolution des relations sociales rurales; le système stratifié et autoritaire avait seulement changé de mains. Les nouveaux patrons avaient un pouvoir local considérable, mais ces propriétaires manquaient du vaste contrôle qu'exerçait l'Industrial. Ainsi, l'économie commerciale régionale était plus ouverte qu'avant aux changements.

En plus d'une diversification de l'organisation sociale rurale, la yerba perdit son hégémonie parmi les autres ressources forestières qui engendraient de plus en plus de bénéfices : peaux, huiles, bois… Les indigènes restaient impliqués de manière périphérique à cette nouvelle économie diversifiée. Cependant, cette économie continuait à être un complément important à leur production de subsistance.

Les natifs s'impliquèrent en partie dans la production de bois, d'essences et de peaux. Ils étaient par exemple chargés de faire descendre les radeaux de bois par la rivière et étaient payés s'ils arrivaient à destination, revenant à pied. Les Guaraní vendaient aussi des peaux, qui prirent de la valeur à partir des années 1950.

Bien que la chasse réduisait considérablement la population animale, les commerçants les équipaient avec les pièges en métal nécessaires qui étaient payés en peaux.

Si l'économie extractive se diversifia, ses bénéfices relatifs chutèrent à partir des années 1960. Le marché de la yerba avait considérablement diminué dans les années 1940 ; la population d'arbres avait largement décliné à cause de l'industrie du bois et avec elle les juteux bénéfices ; une grande partie du marché des essences avait disparu en 1975. Comme l'économie extractive déclinait, les Guaraní revenaient chaque fois plus nombreux auprès des petits patrons qui restaient sur le marché. Tandis que les métis se mirent à la production de tabac et de coton dans les aires récemment ouvertes, les indigènes ne se mirent pas à l'agriculture commerciale, mais continuaient à vivre de la chasse et de l'agriculture de subsistance et utilisaient l'économie extractive vacillante comme source de devises.

En résumé, le système qui était entré dans les forêts des Guaraní était organisé autour des produits extractifs. Cependant ce système différait des autres systèmes capitalistes par bien des aspects. Premièrement, l'Etat et l'élite avaient un contrôle peu important sur les ressources et les matériels nécessaires à leur extraction. De plus, l'intensification de l'industrie ne détruisit pas l'environnement. Dans ce type d'économie, la croissance de la production s'accompagnait de son extensification plutôt que de son intensification. En conséquence, malgré le poids du système de production, les ressources restaient disponibles en abondance. Pour créer un système salarié coercitif, l'élite avait besoin d'amener des travailleurs des aires pauvres des alentours de la capitale et de les forcer à la dépendance et à la dette-esclavage. Les restrictions créées par ce processus furent à la base des relations autoritaires et stratifiées de la population métisse.

Cette économie créa un environnement ou les Guaraní se virent liés à la société métisse, sans être dominés ou assimilés par celle-ci. Les premiers colonisateurs essayèrent de les exploiter par des systèmes féodaux et leurs descendants utilisèrent le salaire et les réseaux commerciaux. Les Guaraní qui survivèrent aux maladies et aux attaques se virent impliqués dans une économie commerciale, sans être intégrés dans la masse des travailleurs métis. Durant tout le temps où la forêt resta intacte, les indigènes maintinrent un haut niveau de contrôle sur la participation à cette économie. Ils se mirent non seulement à la marge de cette économie, mais parvinrent à maintenir des relations sociales égalitaires à l'intérieur des communautés, et ils le firent avec une économie qui accentuait la diversité plutôt que les bénéfices.

La précarité de la situation des communautés indigènes s'est encore accentuée dans l'histoire récente avec des phénomènes nouveaux comme les mouvements de paysans sans terres, l'arrivée des brésiliens et les estancias. Nous traiterons ces sujets ultérieurement.


Société et culture Avá-Guaraní traditionnelles                                   

Les Avá-Guaraní sont souvent nommés Chiripá. Ce dénominatif à une origine très probablement quechua. C'est une pièce de tissu de coton utilisée par les hommes. Passée entre les jambes, elle est assujettie à la ceinture et tombe au niveau des genoux. Le dénominatif Chiripá est cependant largement rejeté car il a souvent été utilisé de manière péjorative, notamment par l'ethnie Mbyá-Guaraní. On trouve aussi le dénominatif Avá-Katú-Eté, qui signifie littéralement homme-pouvoir-vrai, les hommes au vrai pouvoir. LesAvá-Katú-Eté se nomment eux-mêmes Avá-Kue (masculin), Kuna-Ngue (féminin) ou simplement Avá-GuaraníGuaraní ou Ka'aguygua, qui signifie habitant de la forêt. Ils utilisent pour parler d'eux les expressions Ñandeva (ceux qui sont des nôtres) ouÑandevaekuére (notre peuple). Txé ñandéva été signifie " Je suis vraiment un des nôtres - Guaraní ".

Bien que nous utilisions le passé dans cette rapide présentation, cette culture si riche persiste encore par bien des aspects, sans toutefois que l'étranger qui visite une communauté puisse s'en rendre compte immédiatement.

    Habitations
    Artisanat


Hygiène
L'hygiène personnelle et de l'habitation était notable. Le bain était fréquent, et ils se lavaient les mains avant de manger. Le nettoyage se faisait à l'aide d'un savon végétal. L'urukú, huile de palme, était appliquée sur le corps pour se protéger contre les piqûres de moustiques et autres insectes.
Ils ne mangeaient ni ne buvaient jamais en excès, mis à part quelques grandes réunions et fêtes. Ils se couchaient très tôt, peu après la tombée de la nuit, et se levaient un peu avant l'apparition du jour.
Ainsi, leur indice de longévité était très élevé, du fait de cette excellente hygiène de vie, des nombreux exercices pratiques, des jeux, de la chasse et de la pêche…

Alimentation
Les aliments consommés étaient très variés, provenant des activités agricoles, de chasse et de pêche. Nous les évoquerons plus loin.
Les Guaraní connaissaient des méthodes de conservation des aliments : de viandes et de poissons, par le moka'é : cuire à feu doux et fumer ; la conservation de racines et de tubercules en morceaux sèches ; la désintoxication de tubercules toxiques comme certaines variétés de manioc ; la fabrication de farine…
Le maïs était largement utilisé dans l'alimentation et était à la base de nombreux plats, qu'il soit bouilli, cuit directement au feu, sous forme de farine, de boisson fermentée, la chicha ou ka'u'ý
Les tubercules et les racines se mangeaient bouillis ou cuits à la braise dans des fours fabriqués par les Guaraní.
Le manioc était aussi un aliment très important. Pour éliminer la toxicité du manioc amer, mandi'oró, due à de petites quantités d'acide cyanhydrique, ils recourraient à divers procédés, dont les plus communs étaient : couper le manioc en petits morceaux laissés dans une jarre pleine d'eau durant de nombreux jours ; râper le manioc à l'aide d'un instrument à dents d'animal et exprimer le jus à travers un tissu de coton en laissant courir le jus toxique et en faisant sécher au soleil la masse restante… Le riz sylvestre se consommait bouilli ou après l'avoir fait germiné et fermenté.
Mais les Guaraní consommaient de nombreux aliments, grâce à leur savoir des produits de la nature. Leur alimentation était extrêmement variée et apprêtée avec de nombreux condiments qui provenaient de la nature.

Attitude face à la mort
Leur attitude face à la mort était ambivalente. D'un côté il y avait la peur instinctive et naturelle de mourir. Ils attendaient cependant la mort avec beaucoup de naturel, puisque mourir était dans l'ordre des choses, jusqu'à parfois la désirer ardemment. L'idée de mourir n'était pas associée à la fin, à la destruction. Celui qui mourait continuait à vivre dans l'au-delà, réuni avec ses ancêtres et les dieux, jusqu'à ce qu'il puisse renaître.
Ce qui était plus craint était la destruction définitive, la mort de l'âme qui arrivera sous forme d'un cataclysme pour ceux qui seront sur cette terre quand viendra l'heure de la destruction de celle-ci.
La sépulture était une petite cabane où était allongé le défunt et qu'on abandonnait. Certaines tribus disposaient les cendres de leurs morts dans des urnes funéraires de poterie. Tous les objets utilisés par le disparu étaient posés au dessus de sa sépulture.

Image 6 : Scène d'enterrement


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